Le retour

Entre ciel et terre

Il est bientôt 2h30 du matin, et je ne supporte déjà plus les chaussettes que j’ai enfilé il y a à peine deux heures : j’ai perdu l’habitude. J’attends, j’attends tranquillement assis sur une chaise dans la salle d’attente pour l’embarquement de l’avion - ma dernière nuit au Ghana - demain (enfin dans l’après-midi de la même journée) je serai à Paris. J’essaie bien de regarder le film qui passe à la télévision HD, donation à l’aéroport d’Accra par je ne sais plus quelle compagnie aérienne, un film sur la vie de Johnny Cash. Ça a l’air bien mais j’ai la tête ailleurs. Mon cinema intérieur est déjà trop plein, plein de choses qui défilent sans logique apparente sur cette dernière année de voyage.

Depuis que je suis à Accra, je ne peux pas m’empêcher d’être un peu absent, perché par ma mémoire d’émotions passées, laissant de temps en temps place aux sensations routinières de la vie ordinaire au Ghana…voir les vendeurs de la rue dans le trafic du haut du tro-tro, entendre le bruit de la vie de la ville, le vent dans les feuilles de palmiers sous la douceur du soir dans un bar, discuter avec Flint et Scholla pour une dernière fois….enfin toute ces petites choses là qui prennent subitement une telle dimension avant le départ.

Cet état, ce retour sur le passe imposé, n’a pourtant rien de triste. Je suis heureux de rentrer à présent et serein en laissant toutes ces sensations remonter à la surface. Même si dans le fond, j’aurai sûrement pu tout aussi bien rester là au Ghana, ou reprendre ma route…qui sait ? Je me suis fais à l’idée qu’il est temps de rentrer - pas de regrets ? Sûrement quelques uns (qui n’en en pas?), mais pas de quoi m’empêcher de dormir!

Il pleut sur le lac Volta

J’ai eu l’impression de bien profiter de mes dernières semaines. Liz était partie en Angleterre et en Allemagne pour 3 semaines. Pour son retour, Seth avait décidé de fermer le centre quelques jours, pour pouvoir aller la chercher à Accra et prendre deux jours de repos à la plage. Une petite semaine de congé, parfait pour voyager avec ma colocataire Tamina et une autre volontaire Annika. Un petit tour dans la région Volta s’est rapidement imposé à nos yeux.

Pour pouvoir parler de Juliette, je ne vous raconterai pas les détails de cette semaine mais c’était étrange cette impression de reprendre la route, même pour une semaine seulement. Avoir à nouveau sa maison dans un sac et se laisser porter par ce qui se présente. Même si tout s’est très bien passé et que je me suis bien amusé, je me rends compte après mon séjour sédentaire à Hohoe, que je n’ai plus vraiment envie de ça. Aurais-je perdu l’envie d’avaler la route ou une semaine est-ce trop court pour reprendre le rythme du nomade ?

De retour à Hohoe, mes jours étaient comptés avant mon départ pour Accra. Avant le retour, j’ai commencé à avoir de la fièvre dans la nuit, sentant une nouvelle crise de paludisme venir j’ai préféré prendre les cachets magiques pour ne pas me gâcher mes 4 derniers jours à Hohoe. Et j’ai bien fait, juste deux jours de fatigue avec un peu de fièvre la nuit et tout allait bien. Les derniers jours sont très vite passés surtout que je voulais reparler avec Liz de Juliette.

Juliette rieuse

Je ne sais pas si vous vous rappelez, je vous avez parlé de Juliette, une jeune fille placée dans la famille de ma propriétaire dans la maison d’en face. Sa situation ne s’est pas vraiment améliorée et elle a connu des moments particulièrement difficiles au mois d’Août - ses cris de douleurs - au départ je pensais à un animal - avant qu’elle n’aille vomir de douleur derrière le mur me réveillais souvent de bon matin. Que faire ? C’était la question de l’époque avec ma colocataire. Malheureusement on était en train de se résigner, il n’y avait pas de solution et comme disent les Shadocks si il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. Cette pensée shadockienne ne m’aidait pas pour autant, amertume de l’indifférence apparente de nos voisins, ajouté à notre impuissance à trouver une solution. Mon seul espoir de l’époque c’était que Juliette me parlait souvent de sa mère qu’elle espérait revoir sous peu, elle rêvait de repartir avec elle.

Et puis un jour, la fille d’une autre voisine, qui était de retour chez sa mère pour quelques temps, est venue nous voir. Elle voulait nous inviter à manger tous les deux. On a accepté en bon voisinage même si on n’était pas spécialement proches. Quand le soir tombé, elle est venue nous dire qu’elle souhaitait que l’on mange chez nous, j’ai compris qu’elle avait envie de parler de quelque chose dont elle ne souhaitait pas parler devant sa mère et ses soeurs. Mon premier réflexe fut de croire qu’elle voulait nous demander quelque chose pour elle, de l’argent comme si souvent. A peine le repas commencé, elle a de suite parlé de Juliette. En restant très sobre, elle a explique qu’elle trouvait sa situation pas vraiment acceptable. C’était une révélation ! Non, nos voisins ne sont pas insensibles à sa situation contrairement à ce que j’avais fini par croire, mais le problème est que personne ne veut d’ennui avec la propriétaire - donc personne ne fait rien et ne dit rien. Ce soir là, elle nous avez invité à manger pour voir si, via Kids’Corner, on pouvait trouver un sponsor pour la sortir de là.

Je connais la situation de Kids’Corner et je sais bien la difficulté pour trouver des sponsors ou des financements en général : c’est pas l’UNICEF ou une grosse ONG. Même si je n’ai rien dit ce premier soir, j’ai de suite pensé que je pourrais la financer.

La situation est un peu compliquée. Il faut comprendre que ces familles riches, chez qui on place des jeunes filles comme servantes, se considèrent comme des bienfaiteurs de l’humanité la plupart du temps (de vrais bons catholiques en tout cas). Les filles sont logées, nourries et vont même parfois à l’école, enfin à une école pourrie qui coûte le moins cher possible. Bien sur, le fait que la fille soit traitée comme une esclave, travaille de 5h du matin à 10h du soir, 7 jours sur 7 tout l’année, sans un jour de repos pour aller voir sa famille en ville ne semble pas peser dans la balance de leur demi-sainteté. Dans notre cas, ma tendre voisine passe en plus toutes ces humeurs et frustrations en cannant violemment Juliette, mais cela aussi n’enlève sûrement rien à son auréole de future sainte. Donc si elle apprend que des personnes - des blancs de surcroît - veulent retirer la jeune fille de chez elle, elle va faire du grabuge et tout faire pour l’empêcher - cela serait trop la honte pour elle vis à vis de la communauté.

Ma voisine a déjà réfléchi à la situation et comment s’y prendre. Il faut tout cacher à la propriétaire, et travailler la tante chez qui Juliette a été placée. Elle avait commencé à se renseigner, la mère de Juliette avait disparu à Accra et apparemment il n’y avait plus de trace d’elle. Juliette espérait la revoir mais c’était malheureusement plus de l’ordre du rêve que d’une réalité proche. Il fallait se mettre dans la poche la tante, l’idée était de savoir où elle travaillait sur la marché et que j’aille l’approcher doucement - en lui achetant des trucs - et engager un jour la conversation sur Juliette. Il faudrait être prudent car il y a aussi de fortes chances que la tante accepte pour se garder tout l’argent pour elle. Ma voisine serait notre informateur mais il fallait être très discret car personne ne devait apprendre ce que nous faisions dans la maison. Je vous passe les détails, des rendez-vous en cachette pour pouvoir en parler après. Mais évidement tout cela n’a pas marché, ma voisine informatrice a subitement disparu un jour - repartie à Accra - avant qu’elle ne puisse me montrer la tante qu’elle avait eu tant de mal à localiser. J’étais à nouveau bloqué comme un con ! Le temps filait et je voyais que je ne pourrais pas régler ça avant de partir.

J’ai préféré attendre le retour de Liz pour en discuter car c’était elle qui allait devoir gérer la situation. Et vu que l’on n’avait pas d’autre choix, j’ai décidé d’en parler directement avec Juliette. Malgré ces 12 ans, elle est déjà bien plus adulte que bien d’autres personnes. Elle a de suite pensé que le mieux était de contacter sa tante et surtout pas la propriétaire, c’est la tante qui décidera de toute façon. Si sa tante refuse, elle restera là et si elle accepte - avec sûrement un petit intérêt pour elle - sa tante la retirera de là en prétextant qu’elle va la placer chez une sœur à Accra. A présent, elle attends, elle n’a pas le droit d’aller en ville de toute façon, elle attends que sa tante vienne la visiter pour pouvoir lui en parler et récupérer son numéro de téléphone pour le donner à ma colocataire - notre nouvel informateur sur place.

Apres ces discussions, Juliette m’a aussi demandé de ne pas trop parler avec elle et ne montrer peu d’intérêt pour elle. Comme beaucoup de gens la propriétaire passe son temps à surveiller ce qui se passe. En partant je n’ai pu dire au revoir à Juliette, rapidement de loin un geste de la main alors qu’elle était en train de laver le linge, la propriétaire était entre nous… tout un symbole.

it's me!