Pourquoi l’Ouest fait tant de mal quand il prétend faire le contraire ?

Rapaces sur le toit du centre

Pour une fois, j’ai juste envie de parler d’un livre, je viens de le terminer, son titre est The white man burden - ou pourquoi les efforts de l’Ouest pour aider le reste du monde ont fait tant de mal et si peu de bien. Je ne sais pas si il existe en Français, mais surtout je ne sais pas si vous auriez envie de le lire. Même si cela est loin de mon expérience actuelle, j’ai trouvé sa lecture très instructive et éclairante. Beaucoup de choses ont fait écho avec ce que j’ai vu et entendu. Et comme j’ai envie de partager avec vous cela, je vais tenter de vous en faire un court résumé.L’auteur n’est pas un alter-mondialiste qui a décidé de prendre la plume pour parler de l’annulation de la dette des pays pauvres, une solution à laquelle il ne croit pas d’ailleurs aux vues des expériences passées. C’est un économiste américain d’une université de New-York, qui a travaillé pendant plus de 15 ans pour la Banque mondiale et autres agences de développement.Il part d’un constat simple, nous vivons dans un monde qui est capable de délivrer en 1 jour plus de 9 millions du dernier volume d’Harry Potter sans rupture de stock. pour les potentiels clients. Alors que dans le même temps, cette société est incapable de délivrer des cachets contre le paludisme à 12 cents de dollar aux enfants qui en ont besoin. Pourtant les hommes politiques, des hommes d’affaires ou du showbizz ont tous à coeur les maux de notre monde.Il cite par exemple, l’éloquent discours de 2005 du premier ministre anglais Gordon Brown sur la tragédie de la pauvreté, suivi de son appel à un doublement de l’aide internationale, qui demande un nouveau plan Marshall pour les pauvres. Brown dans son discours cite des exemples concrets de ce que l’on pourrait faire : des cachets pour la malaria coûtent 12 cents, une moustiquaire 4$, et prévenir 5 millions de morts enfantines sur les 10 prochaines années coûterait juste 3$ pour chaque nouvelle mère.Mais Gordon Brown ne parle pas de la seconde tragédie. Depuis les 50 dernières années, l’Ouest a dépensé plus de 2,3 trillions de dollars (je ne sais même pas combien de zéro cela fait!) pour l’aide internationale. Et pourtant, ces solutions si simples qui existent depuis quelques temps déjà (le cachet anti-palu à 12 cents, la moustiquaire à 4$, etc) n’ont toujours pas atteint leurs destinataires. Ce livre pointe du doigt cette seconde tragédie, les pauvres ne meurent pas seulement à cause de l’indifférence du reste du monde, mais aussi à cause de l’inefficacité de ceux qui s’en occupent.

Quel est le problème alors ?

Si tout le monde peut acheter Harry Potter sans rupture de stock, c’est grâce à ce qu’il appelle des chercheurs de solutions (Searchers) qui opèrent dans un marché libre. Alors que les pauvres qui n’ont pas d’argent pour motiver la venue des mêmes chercheurs de solutions pour leurs problèmes, se retrouvent principalement pris en considération par ce qu’il appelle des planificateurs (Planners). En d’autres termes, les habitants des pays riches ont un système capitaliste pour subvenir à leur besoins, les pauvres se retrouvent avec des bureaucrates pour gérer leur problèmes. Son idée est de s’inspirer des mécanismes du Marché qui marchent, pour transférer le pouvoir de l’aide internationale des planificateurs vers les chercheurs de solutions.Depuis plus de 50 ans, Brown comme tous les autres hommes politiques, ainsi que tous les membres du showbizz comme Bono, Bob Geldof, Sharon Stone et cie pensent que la question est comment mettre fin à la pauvreté ?(la vue classique du “planificateur”). Alors que la question devrait être que peut faire l’aide internationale pour les pauvres ? (vue du “chercheur”). Mais depuis 50 ans, c’est le même plan qui est perpétuellement essayé et qui échoue, c’est la même légende qui perdure. Le grand plan est toujours le même :

  • 1ère partie : les pays pauvres sont bloqués dans un gouffre de pauvreté, dont ils ne sortiront jamais sans une importante aide financière extérieure (la théorie du Big push).
  • 2ème partie : si un pays pauvre a une croissance faible, c’est dû au gouffre de pauvreté dans lequel il est bloqué et pas à de mauvais gouvernements.
  • 3ème partie : l’aide internationale donne l’élan initial pour sortir du gouffre, et une fois la croissance trouvée, l’aide n’est plus nécessaire.

Je ne peux pas donner les détails du livre, mais l’auteur montre que pas une seule de ces affirmations n’est justifiée aux vues de l’analyse des 50 dernières années. Tout cela n’est qu’une mauvaise représentation de l’esprit - un plan voué à l’échec car il est si loin d’une réalité du terrain.

Pourquoi les planificateurs sont si populaires alors, s’ils échouent depuis 50 ans ?

Pour de multiples raisons :

Peu de retour (de bâton)
Les agences d’aide internationale sont mandatées par les gouvernements des pays riches qui payent et fixent les objectifs (en notre nom et avec notre argent). L’action de ces agences est jugée par ces mêmes pays riches, et pas par leurs bénéficiaires supposés (les pauvres). Les pauvres ne sont représentés que par leurs gouvernements. Et au final, les pays riches connaissent peu de choses des problèmes des pauvres des pays en question.
Utopisme
Les hommes politiques qui se gardent bien dans leur pays respectifs de tout utopisme (peur du fameux retour de bâton aux élections), se sentent pousser des ailes pour l’aide internationale. Il suffit de voir la liste des objectifs fixés par eux à l’ONU, tous les uns plus beaux les uns que les autres. En fixant des objectifs généraux et irréalistes, les agences se concentrent sur des taches infaisables (comme en finir avec la pauvreté), au lieu de chercher des actions plus simples qui amènent une réelle amélioration.
L’utopisme va bien avec l’élaboration d’un plan
Cela donne l’impression que quelque chose est fait et que la situation est contrôlée, on prétend savoir ce qu’il faut faire au lieu d’admettre que l’on ne sait pas. Une posture assez classique de l’homme politique pour convaincre qu’il est vraiment l’homme de la situation.
Pas d’évaluation indépendante des résultats
Les mêmes agences qui font des actions évaluent elles-mêmes le résultat de leurs actions. Bien plus facile d’arrondir les angles de résultats improbables.
Pas de responsabilité
Toutes les agences (Banque mondiale, FMI, et gouvernementales) sont toutes responsables de tous les objectifs. En dehors de l’impossible coordination à mettre en place (encore plus de bureaucratie). Si il y a un échec, il n’y a pas vraiment de responsable - si il y a un succès chacun peut se féliciter du résultat obtenu et essayer de tirer la couverture vers lui.
Le syndrome de l’élu
L’Occident souffre de ce syndrome - croire qu’il doit sauver et éduquer le reste du monde - car il connaît la réponse. Un curieux mélange de vanité, utopisme et patronage qui a fait ses preuves en terme de ravages par le passé.

De plus, depuis le départ il a été décidé que l’aide internationale serait donnée aux gouvernements des pays pauvres. D’un point de vue politique, cela a été bien pratique pour récompenser les gouvernements alliés (et pas très démocratique) durant la guerre froide par exemple. Mais le problème est qu’il se trouve que les pays pauvres ont souvent de mauvais gouvernements. Par exemple, les 25 gouvernements jugés comme les moins démocratiques (par ces mêmes agences) ont reçu 9 billions de dollars en 2002. Et les 25 gouvernements les plus corrompus (mêmes agences) ont reçu 9.4 billions de dollars la même année. L’idée est d’arriver à faire changer ces gouvernements, mais comme l’auteur le démontre cela ne fait qu’empirer la situation économique du pays, et bien sûr juste une petite partie de l’aide atteind le bénéficiaire final (un exemple que j’ai vu au Mali et Burkina-Faso : les sacs de riz US écrit not for sale en vente sur les marchés).Face à ces mauvais gouvernements, 2 attitudes se dégagent. Soit nier et dire que ces gouvernements ne sont pas si mauvais que ça (comme le fait l’ONU). Soit penser qu’il faut les forcer à changer en intervenant dans les affaires du pays en échange de l’aide (typique du FMI, Banque mondiale et USA). A cause de cela l’auteur ne peut que constater que nous avons quitté le colonialisme pour un nouveau néo-impérialisme, à travers plusieurs étapes :

  • l’aide a échoué dans les 60’s et 70’s en raison des mauvais gouvernements ;
  • cela a justifié l’intrusion dans la politique du pays (via le FMI entre autres), et l’aide est donnée sous conditionnement complexe de changement structurel dans les 80’s et 90’s ;
  • le médicament (les changements structurels) se sont revelés encore plus désastreux que la maladie. L’auteur, très critique vis-à-vis des résultats du FMI, recommande que cet organisme revienne à son mandat initial de stabilisation financière mondiale, et ne s’occupe plus des pays les plus pauvres aux vues des résultats ;
  • maintenant (les U.S. en tête) veulent remplacer les gouvernements nationaux pour partager les responsabilités pour le plus grand des désastres (cf. Afghanistan, Irak)

L’histoire est un éternel recommencement. Ce néo-impérialisme inquiète particulièrement l’auteur, qui y voit la négation de l’histoire coloniale. Pour mémoire, il rappelle les résultats économiques pour les pays colonisés, plus les difficultés qu’ils ont depuis leur indépendance (les nombreux problèmes de frontières) et les compare avec les pays qui n’ont pas été colonisés par l’Occident. Bien sur, l’auteur est américain et s’inquiète d’autant plus des actions de son pays, peu importe le parti, cette tendance de nation building avait commencé sous l’administration Clinton. Mais je vous rappelle que cette tendance existe aussi en France (à notre échelle), il suffit de voir les débats sur les bienfaits de la colonisation ou encore l’hallucinant discours de notre président à Dakar dans ses premiers pas en Afrique. Il a tenté de se rattraper plus tard en Afrique du sud avec un tout autre discours, sur la fin de la “Francafrique” et sur le fait que la France n’a pas vocation à maintenir des forces sur le continent. Alors que dans le même temps, l’action de l’armée aide le président Tchadien actuel à conserver son pouvoir… mais je m’égare.J’aurai encore beaucoup de choses à dire sur ce livre passionnant, auquel j’espère n’avoir pas donné une version simplifiée trop simpliste. Au fait, à parler gros sous, j’ai rajouté une page pour parler de mon budget sur le voyage la semaine dernière : combien ça coûte?.