Banales histoires de violence

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L’électricien est finalement revenu au début de la semaine pour réparer ce qui ne fonctionnait toujours pas dans la future école informatique de Kids’ corner. Après une bonne semaine d’attente, on a enfin pu essayer de faire fonctionner les ordinateurs cette semaine. C’est un drôle de jeu, pas obligatoirement très drôle, une sorte de jeopardy dont le but est de faire fonctionner le maximum d’ordinateurs - prendre un composant ici, essayer avec un autre, chercher une nouvelle pièce, aller voir untel qui pourrait l’avoir, etc.

Heureusement que je n’étais pas seul pour faire cela, 2 étudiants m’ont plus qu’aidé. Ils sont revenus avec la dernière volontaire d’Accra, ils connaissent depuis le début l’association, l’un d’eux peut poursuivre ses études grâce à un des sponsors de l’association. C’est les grandes vacances d’été pour eux, et ils rentrent dans leur ville d’origine, ils n’ont pas réussi à trouver de travail (payé) pour l’été à la capitale.

Au final, on risque de faire fonctionner 6 ordinateurs sur les 10 potentiels, et peut-être en récupérer 1 de plus. Le propriétaire du bâtiment où les ordinateurs étaient stockés parle de nous rembourser un ordinateur qui a été endommagé par la pluie !

L’après-midi, les activités du centre continuent. Les 3 nouvelles volontaires découvrent tout ça petit à petit ou à grands pas brutaux suivant les cas. Maintenant que l’on est assez nombreux, on va essayer d’être plus présents dans les autres centres des villages alentour. Après discussion, on va essayer d’avoir 2 volontaires 2 fois par semaine dans chacun des 3 centres.

Un de ces centres fonctionne très bien, il est d’ailleurs très agréable d’y aller, mais les 2 autres semblent avoir des problèmes. Les personnes en charge sont un peu seules et pas spécialement formées pour s’en occuper et semblent un peu débordées. Les vieux réflexes refont surface, et la canne est de retour. Même si personne ne l’a vu employée quand on y va, il est sur qu’elle n’est pas là pour décorer. En plus de la présence de personnes supplémentaires peut les aider à trouver un moyen pour gérer de nombreux enfants sans recourir à la violence, qui est un des principes de base du projet.

Le problème de la violence aura été omniprésent cette semaine.

Finalement à Kids’ corner elle est peu présente, contrairement à certaines familles ou à l’école où la canne est de rigueur - malgré de nets progrès dans ce domaine : certaines écoles commencent à la supprimer.

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Comme je vous avais dis, je vis dans la même cour que 3 autres familles et une des femmes a tendance à se laisser aller à la brutalité. Il ne s’agit pas de la plus pauvre des 3 familles - c’est même tout le contraire, grande maison, tout confort avec voiture. Cette femme est tout à fait éduquée, elle est professeur des écoles (ce qui me laisse imaginer le pire dans sa classe). Apparemment, cette semaine était une de ses mauvaises semaines, elle fait partie des personnes incapables de garder pour elles leurs contrariétés et sent visiblement le besoin impérieux de transférer ses frustrations et rancoeurs vers d’autres… ça a commencé avec Juliette, mercredi soir.

Juliette n’est pas une de ses enfants, c’est une jeune-fille de 12 ans qui a été placée dans la famille par sa tante. Elle fait tout simplement tout dans la maison - ménage, lessive (à la main bien sur), cuisine, et s’occupe du petit magasin de la femme qui est à l’entrée de la maison. Son emploi du temps est simple : avant et après l’école elle travaille de 5h à 22h tout les jours. Le seul fait que sa famille d’accueil l’envoie à l’école m’empêche d’appeler cela de l’esclavage, mais certaines de ces jeunes filles placées n’ont pas cette “chance”.

Mercredi soir donc, Juliette avait demandé à acheter à une des voisines une chose pour elle. Cette jeune voisine a préféré demander l’autorisation à la matrone avant - bien sur, cela a été un refus, et l’offense si grande qu’il lui a semblé juste de punir à grands coups de canne sur les avant-bras. Ce dimanche, une des cicatrices est encore ouverte sur l’avant-bras. Sur cette bonne lancée, elle a frappé aussi ses 2 enfants le lendemain matin vers 6h et samedi matin… elle est plutôt du matin pour ça.

Finalement je préfère encore le réveil de mes voisins d’à côté qui se lèvent tôt, que les cris et pleurs des enfants d’en face. Je constate qu’avec la répétition, j’ai de plus en plus de mal à supporter ce qui se passe - même si cela ne se passe pas “chez moi”. Car je n’aurais peut être pas parlé de cela, si il n’y avait pas eu un autre incident cette semaine dans une des familles d’accueil.

Deux nouvelles volontaires ont du assister à une bien violente scène dans leur famille, cela fait une semaine juste qu’elles sont là. Suite à un coup de téléphone, un beau-fils qui vit aussi dans la maison a littéralement pété les plombs. Il s’est enfermé dans la chambre avec sa femme et son petit enfant. Je ne connais pas tous les détails, mais il a failli tuer sa femme en fracassant sa tête contre le mur et une glace, ainsi que son petit enfant qu’il voulait étrangler.

Les 2 volontaires, la mère d’accueil et son fils se retrouvant impuissants à la fenêtre pour essayer de l’arrêter… il s’est arrêté tout seul à temps. La femme et son enfant sont partis dans la nuit plus tard quand elle a pu se relever. Les 2 volontaires, qui ont 18 et 19 ans, ont été très choquées mais ont décidé de rester dans la famille pour le moment - ne voulant pas pénaliser la femme d’accueil qui n’est pour rien dans cette histoire… ce soir, je viens d’apprendre que la femme vient de rentrer à la maison auprès de son tendre mari, quelque chose de cassé dans son visage !

Décidément c’était une drôle de semaine. Cela pourrait pour ainsi dire se passer n’importe où dans le monde. La seule spécificité (et encore) du pays est peut-être le silence autour de ces histoires. Que cela soit des jeune-filles placées, de la violence dans une famille ou à l’école (même si cela est interdit à présent) personne ne va dire quelque chose.

Ici la loi du silence est la règle, on ne s’occupe pas des affaires des autres - enfin presque, disons qu’il ne fant rien dire à l’intéressé directement ou essayer de lui faire du tort. C’est pareil pour la corruption ou les détournements d’argent, où des blancs néo-coloniaux et autres… personne ne dit jamais rien aux intéressés - cela ne se fait pas ! Vas y Bob Jimmy, dis leur la vérité How many rivers do we have to cross ?