De l’art d’être un connard - 2ème partie

une conduite interieure pour Oursi

Contrairement à ce qui a été source de frustations au Mali, je peux dire que je n’ai pas manqué au Burkina-Faso de rencontres et d’échanges en tout genre. Ma façon de voir les attitudes et réactions des personnes a du coup pas mal évolué, je crois. J’y ai beaucoup réfléchi dernièrement et j’avais envie de partager avec vous le fil de mes pensées sur les possibles raisons des difficultés dans les relations… car votre avis m’intéresse!

Comme j’ai pu le penser parfois et souvent entendu de la bouche d’autres voyageurs-résidents, l’amitié ici est impossible… c’est toujours intéressé par l’argent. Dans cette logique, toute nouvelle tentative n’entraînant que nouvelle déception, une sorte de repli identitaire et culturel est souvent adopté : on se regroupe avec des personnes dont la culture est plus proche. Je l’ai souvent vu, et vécu vers la fin de mon séjour au Mali sans m’en rendre compte, j’ai passé plus de temps avec d’autres voyageurs - c’est plus simple et confortable dans un sens - mais du coup j’ai aussi fait moins de rencontres avec des gens du cru.

Ayant appris à me méfier des mots et du sens qu’on leur donne, je me suis demandé ce que l’on entend par une amitié est impossible ici. Pour faire un parallèle culinaire douteux, cela serait comme dire je suis très déçu, je n’arrive pas à trouver de poire belle-Hélène dans les restaurants de rue en Afrique. Dans ce cas, on comprend bien vite l’absurdité de la chose, si on cherche une poire belle-Hélène on ne vient pas ici mais on reste en occident ou on va dans un resto pour européen - bien qu’ici je crois bien qu’il faut faire une croix sur la poire belle-Hélène. Pour en revenir à l’amitié, cela revient à dire en explicitant lourdement les choses je n’arrive pas à créer une amitié, dans le sens culturel franco/européen/occidental et mes critères et expériences personnelles, avec une personne de culture burkinabaise/africaine.

J’espère que vous voyez aussi l’absurdité de la chose, bien sur c’est un problème culturel. Je suis dans un autre milieu culturel que le mien et j’attends de l’autre de réagir comme si il vivait dans mon milieu. C’est à mon avis une des difficultés du voyage, et j’imagine d’autant plus forte pour les résidents, que d’appréhender et s’approprier la culture pour pouvoir tisser des relations.

Qu’est ce qui est si différent alors culturellement parlant ?

Tout ce qui va suivre est à prendre avec des pincettes, je suis toujours en pleine découverte et je vais sûrement dire des absurdités.

Le poids de la structure familiale

Il est très présent dans la façon de penser. Ça mériterait sûrement plusieurs pages d’explication, j’imagine qu’il y a des bouquins entiers sur ça. Pour faire simple, la famille africaine est très hiérarchique et patriarcale, chacun connaît sa place (petit ou grand frère, grand frère, etc.) et avec les droits et les devoirs que cela impose. De plus, la famille est étendue (mon cousin est aussi mon frère, mon oncle est aussi mon père, le fils de mon frère est mon fils, etc.). En tant qu’étranger (ou pour un ami) rapidement vous serez vu comme un membre de la famille, et inconsciemment vous récupérez aussi des droits et des devoirs de cette nouvelle position (petit ou grand frère ?).

La hiérarchie entre ethnies

L’ethnie est une sorte de meta-famille, on le voit bien par exemple dans la cosmologie Dogon avec les couples originels. J’y comprends pas grand chose pour l’instant, c’est très compliqué. Je sais juste que c’est très utilisé par les hommes politiques pour manipuler les opinions et utilisé aussi par nos médias et nos dirigeants pour nous faire gober des couleuvres comme le génocide Rwandais. En tant que blanc, je suis plutôt bien loti et d’une sorte d’ethnie supérieure, on vous doit la plupart du temps un respect qui peut être parfois même gênant (et plus rarement de l’animosité contre un représentant de l’ethnie supérieure). Mais je peux vous dire, même si vous vous comportez comme le dernier des connards, on ne vous le fera pas remarquer (y en a qui se privent pas).

La religion

En fait ce n’est pas vraiment un problème ici pour moi, c’est plutôt très tolérant. A part bien sur si vous rencontrez une personne très pratiquante, que ce soit catholique, protestant, musulman etc. qui veut à tout prix vous convertir. Après il reste très présent un certain nombre de croyances animistes.

L’argent

Enfin ! L’argent est une valeur très importante, bien plus que l’ethnie ou autre c’est la valeur de référence. si tu n’en as pas, tu n’es rien. Si tu en as, tout le monde te respecte. Comme chez nous vous direz, non non c’est pire à cause de la pauvreté. Comme je l’ai lu récemment à Gorom-Gorom dans le voyage dans la nuit Quand on n’a pas d’argent à offrir aux pauvres il vaut mieux se taire. Quand on leur parle d’autre chose que d’argent, on les trompe, on ment, presque toujours. Les riches c’est facile à amuser, rien qu’avec des glaces par exemple, pour qu’ils s’y contemplent, puisqu’il n’y a rien de mieux au monde à regarder que les riches.

Je peux faire ce que je veux, mais croire que je peux passer au dessus de ces différences c’est se bercer d’illusions et recommencer à chercher ma poire belle-Hélène (à part si la personne en face connaît les deux cultures et s’adapte pour vous). C’est à moi à m’adapter, et c’est là que l’on voit la difficulté que cela représente. Je ne veux pas dire qu’il faut renier sa propre culture - est ce possible d’ailleurs? - mais c’est d’être capable d’en accepter une autre et de s’y plier comme on s’est plié à celle qui nous a forgés pendant des années… et bien, je peux vous le dire ce n’est pas facile tous les jours ! Je pense que toute personne vivant à l’étranger dans un contexte culturel différent doit connaître cela. Et je comprends d’autant mieux le repli culturel que l’on peut observer chez les expatriés ici ou chez nous dans nos communautés d’immigrés.