Koudougou palu fever

la bâche bleue

J’ai beaucoup redouté ce moment avant mon départ. C’était juste une question de temps, j’étais persuadé d’attraper le paludisme. J’avais refusé de suivre un traitement préventif, ces traitements ne sont pas adaptés pour de si longues durées et les effets secondaires sûrement plus dangereux que la maladie elle-même (si elle était bien traitée bien sûr). Ce n’est pas faute d’avoir fait attention non-plus, spray anti-moustiques et les soirs où il y en avait trop je sortais mon total look allemand, claquettes et chaussettes - top classe. Mais ça ne m’a pas empêché de me faire piquer un peu, parfois même à travers les vêtements. Comme cette maladie fait peur, je m’étais beaucoup renseigné avant de partir et comme souvent on ne découvre pas que de jolies choses

Petit rappel… Le paludisme tue une personne toutes les 5 minutes, la plupart du temps des enfants et des femmes enceintes. Il touche 40% de la population mondiale, ça fait en gros entre 1,5 et 3 millions de morts par an. L’OMS l’a classé comme un problème de santé mondial de première priorité ! Depuis la fin des années 90, des traitements combinés à base d’artémésinine (dits ACT) existent (efficaces à 95% d’après l’OMS). Petit à petit, ils remplacent la chloroquine qui est devenue totalement inefficace (résistance du parasite). Cynisme de notre époque, l’artémésinine a été découverte durant la guerre du Vietnam. Mais comme la population touchée est considérée comme non-solvable, l’industrie pharmaceutique n’a volontairement rien fait (et même freiné) durant des décennies. Je vous laisse faire le calcul sur les dizaines de millions de morts qui auraient pu être évités, et conclure sur l’hypocrisie de nos pays qui osent dire que c’est un des premiers problèmes de santé mondiale.

Depuis les années 2000, les médicaments à base d’ACT se développent mais restent trop chers pour la population locale. Par exemple, une boîte pour un traitement m’a coûté 5000 FCFA (7 EUR), ce qui fait un demi mois de salaire pour un employé de l’hôtel où je logeais. Pour le rendre plus accessible, MSF a financé le développement d’un médicament non-breveté à base d’ACT, le but est de rendre un traitement accessible à 1$ (de manière générale, c’est une une vrai bataille qui se joue sur les brevets libres avec l’industrie pharmaceutique). Dernière anecdote, ces médicaments à base d’ACT (recommandés par l’OMS je rappelle) ne sont pas trouvables en Europe (à part si vous êtes hospitalisés pour cela) et ne sont pas recommandés par les services hospitaliers français. Si vous connaissez les tarifs des traitements préventifs (Lariam, Malarone et compagnie), je pense que vous comprendrez vite pourquoi. Quant au vaccin, c’est depuis les années 2000 un nouveau sujet à la mode et plusieurs labos (dont un français et un américain avec une idée assez différente sur la nature du brevet) se font la course, mais il parait peu probable qu’ils trouvent avant 2010-2015.

Voilà pour le papier, maintenant comment ça se passe une crise de palu dans la vrai vie. Si vous sortez ou passez à table, vous pourrez lire la suite plus tard peut-être…

Les jours précédents je me sentais fatigué, un jour surtout écoeuré par la bouffe (et le manque de choix) avec des piques de douleurs le long de la colonne vertébrale. Signes précurseurs auxquels je n’ai pas prêté attention sur le moment, ça a vraiment commencé le jeudi matin. Je me suis réveillé avec de la fièvre et de la diarrhée. J’ai réfléchi à mes derniers repas, comme tous les jours pareils, riz sauce arachide, spaghettis et mangues - rien de louche. 1g de paracétamol et 2h plus tard, cela semble mieux. Accalmie de courte durée, la fièvre revient vite et les 1g de paracétamol toutes les 4h ne la contienne plus, la diarrhée revient aussi. La nuit suivante va être dure, la fièvre ne me lâche plus et je délire plus dans mon lit que je ne dors, le sommeil m’attrape juste au petit matin.

Après ces quelques heures de repos, le réveil est bien dur avec, en plus du reste, de la nausée. Mais je suis bien décidé à manger mon morceau de pain et mon thé du matin, bien que j’ai failli tomber dans les pommes en sortant dans la rue. Tout le monde ici a le palu, une crise souvent par an.

En voyant mes symptômes ils me conseillent tous d’aller à l’hôpital (coup de bol, Koudougou est la 3ème ville du pays). Comme il n’y a pas de taxi en ville, Dominique le jeune de l’hôtel s’occupe d’emprunter une moto à une voisine pour m’accompagner à l’hôpital. Là-bas, je fais le test du palu et des analyses sanguines, test négatif et apparemment un état inflammatoire. Le toubib semble sceptique, il m’explique que le test peut être négatif en début de crise (ça a été le cas de Xavier à Bobo), et il me prescrit tout de même des cachets anti-palu à base d’ACT, des antibiotiques et des pansements pour l’estomac. J’avale tout ça en début d’après-midi, mais l’amélioration ne vient pas de suite, la diarrhée empire même (pour l’anecdote, j’aurai été une vingtaine de fois à la selle ce vendredi). Mais à minuit, après une dernière poussée de fièvre dont les draps s’en rappellent encore (référence musicale oblige ! ), mon corps lâche et je m’endors profondément.

7 heures plus tard, je me réveille moulu et courbaturé comme si un troupeau d’hippopotames m’était passé dessus, mais je me sens bien et je sens que le plus dur est passé. La fièvre est encore présente mais bien plus douce et la diarrhée est anecdotique. Le toubib avait raison, je vois mal un cachet d’antibiotique produire un tel effet, ça doit bien être le résultat de ces magiques pilules bleues chinoises d’ACT. J’aurai tout de même besoin d’une bonne semaine de plus pour m’en remettre.

Au final, je m’en suis bien tiré car j’ai pris le traitement très tôt (pas d’hospitalisation, et injections), et je n’ose imaginer les jours suivants sans traitement vu la rapidité de la dégradation en un jour. J’aurai pas vu grand chose de Koudougou, vu que j’aurai passé le plus clair de mon temps à l’auberge. Mais j’aurai au moins découvert les jeunes qui y travaillent et c’est de nouveau avec un pincement que je quitte cet endroit (décidément au Burkina, ça me fait souvent ça). Je repars pour la capitale, Ouagadougou, où je compte rencontrer des personnes de l’association AREA en ce week-end de Pâques.