Bafaro (l’esprit du fleuve)

sonder le fond

La pinasse était bien là sur le port de Macina, avec toute l’agitation du marché sur la rive. Macina est entourée de rizières, le jour du marché les commerçants de Mopti descendent en pinasse pour acheter du riz, qui est la principale cargaison de notre cargo-pinasse. Cette fois la cargaison est limitée en raison du faible niveau de l’eau sur le fleuve, une seconde pinasse plus petite est attachée à la principale. Dans l’agitation habituelle, les passagers s’installent et cherchent une place. Touriste oblige, notre sort pour le trajet sera plus léger que pour les autres passagers. Dans notre section à l’avant du bateau nous sommes quatres : Mathéo, moi et 2 commerçants qui font le trajet toutes les semaines - ils ont même prévu pour eux un matelas pour mettre sur les sacs de riz. Devant nous, la section se remplit doucement, ils seront 14 en tout pour la meme place que nous. Malgré le bordel ambiant qui semble régner, tout ça est plutôt efficace et on part à 15h comme prévu…pour s’arrêter à nouveau sur la rive 500m plus loin ! Tout le monde descend, notre voisin nous explique que le niveau est vraiment trop bas à cet endroit il faut marcher 2km pour attendre la pinasse et rembarquer à nouveau. Notre voisin nous explique un peu comment cela marche, ils ont ouvert un peu le barrage de Markala il y a un mois mais avec le niveau d’eau actuel il risque de nous falloir 2 jours pour arriver à parcourir 200kms et je comprends vite pourquoi. La pinasse ne file pas en ligne droite et alterne rive droite ou rive gauche pour éviter le côté au niveau d’eau le plus bas. Et puis de temps en temps le bateau s’enlise dans le sable, la première fois ça a été 1/2h après notre second départ. Pour délester, tout le monde est prié de se tasser dans la petite pinasse accrochée à la notre, sauf les enfants (pas lourds), un handicapé (pas pratique) et nous 4 les VIP en first class. Il détache la petite pinasse qui part à la dérive sur la rive je ne sais pas où. Une partie de l’équipage se change et descends dans l’eau avec de gros bambous, les autres se placent aux 2 extrémités avec de grandes perches pour pousser. La manœuvre est assez simple, il faut pousser de manière coordonnée d’un côté et de l’autre jusqu’à pouvoir la dégager - relancer le moteur à fond en se dirigeant vers la rive où il y a plus d’eau et partir à la recherche de la petite pinasse pour réembarquer et repartir. Cela peut prendre du temps, entre 1/2h a 2h suivant la difficulté du coin et cela va nous arriver souvent.

Petit à petit, la vie sur le bateau s’organise. Le tronçon central devient la cuisine, avec une poutre placée sur l’extérieur pour faire la vaisselle et un gars qui écope l’eau qui rentre à cet endroit. De l’autre côté, la petite pinasse sert de lieu de toilettes. On croise constamment des petits villages sur la rive avec les mêmes scènes de pêche et de vie sur le fleuve - doucement la fraîcheur tombe, l’Harmattan s’engouffre derrière nous (on fait dos à la marche). Après le repas et la prière du soir, les passagers se préparent pour la nuit, les bâches sont descendues sur le côté et les couvertures sorties. Emmitouflé dans mon sac de couchage tout habillé, je cherche une position pour dormir. Je crois que j’ai un peu dormi les premières heures, avant notre premier enlisement de la nuit. C’est le même scénario qui va se répéter 5 fois dans la nuit, mais l’équipage doit motiver un peu plus à chaque fois les passagers pour sortir dans le froid de la nuit (c’est la saison froide). Allongé dans mon sac, je ne fais plus qu’entendre les bruits, la vie sur le bateau et le bruit des manœuvres, étrangement avec la fatigue cela devient de plus en plus beau. Entendre l’équipage qui descend dans l’eau glaciale jusqu’au ventre en se marrant entre eux, le chant pour coordonner les efforts, le mouvement presque organique du bateau en bois ….le plus long a été à 4h du matin - il faisait vraiment très froid et j’aurais payé cher pour ne pas bouger si on me l’avait demandé.

Au petit matin, tout le monde a du mal à se réveiller et se réchauffer après cette longue nuit. Malgré les enlisements successifs, nos voisins pensent que l’on va arriver avant le soir à Mopti, le plus dur est fait. A peine le temps de flâner sur le toit à observer la beauté des rives du fleuve et leurs villages et la ville se rapproche. A 15h on est à terre, heureux et fatigués après ces 24h de transport. Ce petit périple sur le fleuve m’a bien emballé et comme j’ai du temps après mon court séjour en Mauritanie, je pense de plus en plus à suivre le fleuve de plus ou moins loin jusqu’à Niamey au Niger…à suivre…

Un ami de Matheo arrive en ville le soir directement de Bamako, c’est Nils, il est trompettiste. Ce qui me donne la chance d’avoir droit le lendemain matin a un sublime “Togo” de Don Cherry. Tous les deux ont moins de temps que moi et ils comptent aller au pays Dogon et à Djenne avant de revenir à Segou pour le festival de musique. Un peu trop rapide pour moi, j’ai plus envie de repos à présent. Ils trouvent un guide à Mopti pour le pays Dogon et prévoient de repartir le surlendemain. De mon côté, je pense aller tranquille a Djenne avant de redescendre a Segou me reposer avant le festival, mais c’était sans compter sur Xavier. Il arrive le lendemain avec son 4×4 tout emboué - il a fait la piste entre Djenne et Mopti (et a reussi a s’enliser dans une rivière cette fois, avec l’eau au niveau des fauteuils!). Devant le premier match du Mali de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations), il me motive pour repartir avec lui…nouveau changement de plan à 20h à la fin du match, c’est décidé je repars avec lui pour Sangha et le pays Dogon le lendemain…je me reposerai plus tard !