Vent de sable

fellah endormi

Parfois tu pars dans le desert, et parfois tu n’en reviens pas

Un anonyme dans un café de Tinehrir parlant de sa santé

J’étais à Tan-Tan et j’ai noté l’apparition de vielles land-rover qui servent de taxi. Ce matin là, j’etais parti pour prendre un bus pour couvrir les 350km jusqu’à Laayoune. Mais arrivé à la gare routière, on me propose un taxi ou un land-rover, pas de bus avant 14h - va pour le land-rover ça me changera. Nous voila 8 passagers, 7 humains et 1 mouton, avec plus de place que dans les taxi-mercedes. Je suis bien content d’avoir mon sac en cabine, au moins le mouton ne pissera pas dessus. C’est l’Aid el-kebir dans quelques jours et il y a des moutons partout, à l’hotel, dans les appartements et dans les bus et taxi - c’est étrange au début d’entendre les beheheheheee partout…mais je m’habitue.A la sortie de la ville, j’ai compris que le land-rover n’allait pas doucement pour respecter les limitations de vitesse en ville, il ne peut juste pas faire mieux (j’ai noté plus tard 1h45 pour 100km). Moi qui prenait les camions pour les véhicules les plus lents, ils nous doublent à présent. Le paysage est totalement désertique avec des broussailles partout pour l’instant, qui disparaîtront plus tard, le vent est très fort et traîne du sable bouchant la vue et s’infiltrant partout, il recouvre petit à petit tout à l’intérieur, vêtements, sacs et nous. Je suis bien content d’avoir pensé à aller chez le coiffeur à Sidi-Ifni tout en regrettant de ne pas avoir pensé à acheter un grand foulard, j’ai rapidement le nez qui pique et je sens une douce brulure dans la gorge - dans quelques temps je ne le remarquerai même plus.Après la pause prière et repas de midi, on repart - plus que 200 km et Tarfaya à mi-chemin. Le vent est plus fort et les premières dunes sont là, maintenant la visibilité s’est très réduite et la route est continuellement traversée par le sable, par endroit comme des congères de sable se forment en empiétant sur la route - tout ça me rappelle étrangement la neige.Et puis tout devient de la folie, le sable tourbillone et je me demande comment notre vieux chauffeur fait pour y voir. C’est bien simple, il n’y voit pas ! Et on sort de la route en faisant une dizaine de mètres avant de s’enliser complètement dans le sable. Après plusieurs essais, impossible de se dégager. Il propose de sortir et d’aller chercher de l’aide sur la route. Dehors le sable fouette carrément le visage, et je n’y vois pas bien loin. Je n’ai pas compris pourquoi le vieux détache son mouton et le descend, en tout cas l’animal a bien compris que c’est sa chance, et il trouve le moyen pour partir en courant. Le vieux crie mais ne bouge pas, il fait signe pour qu’on l’aide, comme le mouton n’a pas l’air trop loin je me lance après lui. Mais ce c*!n de mouton m’échappe à 2 reprises, et je crois l’avoir par une patte à la 3ième fois mais je tombe et il m’échappe à nouveau. En me relevant, je réalise mon erreur - je ne vois plus la voiture et en plus le mouton m’a fait changer plusieurs fois de direction, je ne sais plus dans quelle direction elle est. Je reprends mes traces, mais elles ont rapidement disparu et je n’arrive pas loin…merde, je me suis perdu ! Se calmer d’abord et réfléchir, je crie mais avec le bruit du vent pas de réponse…mais quel con je fais ! Je me dis qu’au lieu de partir dans une direction improbable il vaut mieux m’assoir, ça va bien finir et la route ne doit pas être si loin que ça, je la verrai à nouveau. Je m’assois en essayant de me protéger et j’attends - une demi heure a bien passée avant que je distingue une forme qui se rapproche. Je me lève et cours vers elle, c’est une forme humaine, et surpris je tombe sur un ado (qui parle mal français) - s’en suit une discussion de sourd:- je suis perdu, je cherche la route- qu’est ce que tu fais ?- je courrai après un mouton, et je me suis perdu- c’est quoi “un mouton” ?- l’animal, tu sais, pour l’Aid on le tue pour le manger- oui…et qu’est ce que tu cherches ?- ben, la route- c’est quoi ‘”la route” ?- c’est le chemin, là ou passent les bus et les taxis, tu sais quand les gens se déplacent ils suivent la route- pourquoi tu veux aller sur la route ?- ben je suis perdu, je veux retrouver le taxi- tu veux pas venir avec moi, on peut faire “la route” si tu veux - on part par là, dit il en tendant son bras gauche- non, non, je veux retourner au taxi. J’ai mon sac là-bas, et les autres personnes et le taxi- wara! comme tu veux, c’est toi qui décides- oui, mais tu peux me montrer la direction de la route- non, je ne la connais pas…il n’y a pas de routeBon c’est très mal parti, on a vraiment du mal à se comprendre- et le vent, tu sais si ça va durer longtemps le vent ?- “durer longtemps”, je ne comprends pas- ok, c’est pas grave laisse tomberJ’suis decouragé, et je dis qu’il me reste qu’une seule chance- Tarfaya, tu sais ou est Tarfaya ?- oui par là- c’est loin ?- non, une heure- tu peux m’y amener- oui bien sur- wara! Allez on y va; yalla! et depuis je suis là-bas. Bon; bien sur je mens, cela ne s’est pas du tout passé comme ça (à partir de “et puis ça devient de la folie”), tout ça n’etait que les divagations provoquées par la longeur de la route, le vent, le sable et Tarfaya si proche. Il fallait bien que je trouve un moyen de parler de Saint-Exupery avec Tarfaya, et puis j’avais envie de vous écrire une sorte de conte pour Noël, ça sera un pseudo-conte sans fin - tant pis. En tout cas, toute cette route dans ces conditions m’a donnée un bon avant-goût de la suite, et l’envie de relire “Courrier sud”. Allez, Joyeux Noël à tous !!!